Journées du patrimoine et Cour des Comptes
En ce samedi 19 septembre 2015, journée du patrimoine, je me suis dis que ça pourrait être sympa d’aller visiter la Cour des Comptes; et avec ce que j’en ramène, je fais un petit compte-rendu rapide.
La Cour des Comptes pour les Nuls
La Cour des Comptes, dans notre république, tient lieu de contrôleur comptable et financier de l’État; pour faire court, et selon la formule consacrée : « la Cour des comptes juge les comptes des comptables publics » (oui, c’est moche).
Ses missions sont d’évaluer, de contrôler et de certifier l’utilisation des deniers publics par le gouvernement, les administrations et les entreprises publiques. Cela inclue évidemment les effets constatés des réformes de financement, la pertinence d’investissements, les implémentations de politiques sociales transverses à de multiples entités comme la Sécurité Sociale, etc.
Le travail de la Cour, très technique et qui peut paraître rébarbatif, est peu connu et reconnu, les rapports (systématiquement publics) étant généralement commentés à la va-vite par les médias lors de leur sortie. Pourtant, ce rôle est essentiel, puisqu’il permet de nourrir en données factuels le parlement afin qu’il puisse en âme et conscience voter les lois de finances, notamment le budget de l’État (un de ses rôles principaux rappelons-le), donne aux décideurs des clefs et propositions afin d’améliorer l’efficacité des politiques publiques, informe les différents acteurs de la démocratie (y compris le citoyen lambda) des dysfonctionnements et de la plus ou moins mauvaise gestion (d’incompétence ou de malice) des dépenses publiques qui représentaient en 2014 la bagatelle d’environ 1220 milliards d’euros.
Visiter cette institution vitale était pour moi, passionné (parfois trop) par les questions d’interventionnisme, d’économie politique et de dette souveraine, une sorte de petit pèlerinage. Je m’attendais cependant à une visite assez rapide, concise et plutôt centrée sur les bâtiments (le joli Palais Cambon, et la Tour Chicago adjacente et fraîchement retapée, dans le 1er arrondissement), avec également quelques planches expliquant le travail de la Cour, l’histoire de l’institution… bref quelque chose de court et sans fioritures.
En vrai ce qu’il s’est passé
Déjà en arrivant rue Cambon, petit coup de stress : il y a la queue. Je suis un peu étonné, surtout quand je pense aux nouvelles du jour qui parlait de plusieurs heures d’attente devant l’Élysée… Les Sages rameuteraient autant de personnes ?
Ce n’est heureusement pas le cas et on rentre très rapidement. Premier bon point : un café est généreusement offert à l’entrée (ce qui explique la queue).
Mais surtout, alors qu’on vient à peine d’emprunter l’escalier d’honneur pour rentrer dans le bâtiment à proprement parler, on lève la tête ; et là on voit, en haut des escaliers, DIDIER MIGAUD HIMSELF, bonhomme, qui accueille et sert la pogne à CHAQUE PERSONNE.
Je ne suis pas là depuis 5 minutes et déjà l’émotion m’étreint.
À partie de là, je comprends que ça ne va pas être plan plan, que la Cour a sorti l’artillerie et entend bien faire sa com et profiter de cette journée pour informer les curieux.
Et effectivement, les magistrats de la Cour ne se sont pas du tout échappés. Ils n’ont pas délégué le job a des secrétaires ou des agents de communications, ils n’ont pas enregistré des vidéos plates et convenues en amont pour les diffuser ensuite. Ils étaient là, en chaire et en os, complétement disponibles, avenants, pédagogues, ouverts. J’ai été véritablement impressionné par la capacité de ces femmes et hommes à être proches de chacun, alors qu’un des gros travers de notre République est justement cet éloignement (ressenti ou avéré) des élites politiques et administratives des citoyens.
Le parcours était légèrement balisé pour conserver un semblant d’ordre, mais les fonctionnaires de la Cour était simplement postés dans les pièces et attendaient le chaland, allaient même à sa rencontre à force de sourires affables et de « surtout n’hésitez pas si vous avez la moindre question ». Au gré de l’intérêt des questions du public, de petits groupes se formaient autour des fonctionnaires, la discussion s’engageait très simplement et librement.
Au-delà du premier président (qui était plus occupé à serrer des mains – des milliers – qu’à discuter), on pouvait ainsi passer du temps avec des présidents de chambres, des rapporteurs, des fonctionnaires de la Cour, et discuter de leurs missions, mais aussi – chose beaucoup plus polémique – des conclusions de leurs rapports.
Les missions et valeurs
Sur les missions (et donc forcément les non-missions) de la Cour des Comptes, une question du public (plutôt averti) est revenue plusieurs fois : n’étaient-ils pas agacés, sinon excédés, de produire une quantité de recommandations qui ne sont pour un grand nombre d’entre elles suivies d’aucun effet ? Ne devrait-il pas, en plus de leur capacité d’audit, avoir également un pouvoir coercitif sur les contrôlés ?
Les magistrats reconnaissaient une certaine inertie et parfois une mauvaise volonté des contrôlés suites aux rapports, contre lesquels ils ne sont pas armés. Cependant, beaucoup de précisions sur cette sensation « d’inefficacité » ont été apportées :
- Il y a tout de même un nombre importants de recommandation qui sont suivies d’effets. Cependant, la magie de l’administration aidant, les effets mettent souvent plusieurs années à se faire sentir.
- La démocratie s’accommoderait mal d’une autorité ayant à la fois le pouvoir de contrôler et de punir. Lorsque la Cour des Comptes constate des anomalies, elle transmet les dossiers aux autorités compétentes – en particulier au pénal s’il y a suspicion d’infraction.
- Lors de contrôles réguliers, la Cour commence systématiquement par analyser les suites données à ses recommandations. Le caractère répétitif, d’un contrôle à l’autre, d’une observation est mis en avant.
- In fine, les magistrats sont très clairs : la sanction doit venir des urnes. La Cour informe, les citoyens en tiennent compte (ou non) au moment du choix. Le renvoi de balle peut paraître facile, il n’empêche que, si dysfonctionnement il y a, il se trouve plus dans l’engagement de chacun dans la démocratie ou dans sa forme, plutôt que dans la mission de la Cour des Comptes.
Les différents magistrats ont également souvent appuyés sur l’importance de l’échange avec les contrôlés. Si d’un point de vue extérieur, la Cour est souvent vue comme cette maîtresse qui assène des coups de règles métallique sur les doigts, ses fonctionnaires insistent sur l’utilité du contrôle et de la critique, en bref le principe d’amélioration continue.
Ils remarquent à ce niveau que le simple fait de commencer un audit dans une administration améliore naturellement son fonctionnement. Et évidemment, ils appliquent à eux-même ce principe en demandant régulièrement à se faire contrôler par des organismes équivalent.
Pour ce qui est des valeurs, tous les fonctionnaires rencontrés mettent en avant leur déontologie et les procédures de l’institution, présentées pour l’essentiel ici. Ces valeurs sont loin d’être des punch-lines bidons pour vendre du produit vaisselle ; toute personne suivant avec quelques intérêts la Cour connait bien son indépendance et sa liberté dans ses propositions qui, malgré des formulations qu’on peut parfois trouver trop retenues, sont régulièrement à contre-courant de la bien-pensance des temps modernes.
Mais justement, la force de ses propositions vient des deux autres valeurs qui sont la collégialité, qui nécessairement bride (au moins en partie) les velléités d’un rapporteur de porter un message partisan, et enfin la contradiction, qui oblige la Cour à parfois prendre en compte, et au moins toujours communiquer avec ses rapports les réponses des contrôlés.
Un magistrat insistait fortement sur la nécessité absolue pour chaque fonctionnaire de la Cour d’être absolument factuel et rigoureux dans ses observations, sous peine de les voir retoquées par ses pairs.
Alors certes, en tant que production humaine, il est impossible qu’un rapport soit absolument neutre, mais les procédures de la Cour font en sorte de s’y approcher un maximum.
Enfin, que ce soit dans ses observations ou ses propositions, le travail de la Cour ne se limite pas à des bilans purement comptable. Une partie de sa mission est effectivement de vérifier la cohérence des données, mais elle évalue et juge également de l’efficacité des dépenses : elle ne critique pas le cher, mais la gabegie. De la même façon, ces propositions sont la plupart du temps inspirés d’exemples réels et comparables, et vont dans le sens d’une meilleure efficacité de la dépense. Elle ne demande jamais de couper aveuglément dans les budgets pour un résultat hasardeux.
Le rapport 2015 sur la Sécurité Sociale, en comparant les systèmes français et allemand, en est un parfait exemple : certes le système allemand est beaucoup moins dépensier, mais le français a de meilleurs résultats sanitaires. Les propositions à ce niveau ne sont pas de jeter l’un pour le remplacer par l’autre, mais de s’inspirer de ce qui fonctionne mieux outre-Rhin et qui est compatible avec notre choix de société.
Ce travail d’évaluation, de savoir si une politique publique ou une administration atteint ses objectifs, sa raison d’être, ou au moins n’est pas nuisible, est particulièrement important dans notre pays où on se contente de Fire-and-Forget, où le contrôle a posteriori de l’action publique est très (très) loin d’être systématique et encore moins impartial, avec le succès qu’on connait.
La façon de porter un message
Mais le plus intéressant de la visite s’est fait sur un autre niveau, sur la façon dont le message de la Cour des Comptes se transmet au citoyen.
Le rôle de la Cour ne se limite pas à communiquer uniquement dans les administrations et les sphères politiques. Elle cherche également à atteindre le citoyen, qui est censé donner aux dirigeants leurs légitimités, et doit donc s’informer pour accomplir efficacement ce devoir.
La Cour a cependant une production très technique, et si elle fait des efforts pour être accessible (via des synthèses pour chacun de ses rapports, à travers les médias sociaux comme touitère, …), on ne peut lucidement demander à chacun de lire les centaines de pages de rapports qu’elle produit chaque mois.
Habilement, une salles de l’étage est remplie de production journalistique commentant ces rapports, et je crois à ce moment avoir saisi le message que voulait nous faire passer la Cour.
La vue d’ensemble permet de voir très rapidement que les secteurs où intervient la Cour sont extrêmement variés (des LGV au nucléaire, de la Sécu à l’armée, du budget au concessions d’autoroute) et les titres (évidemment un peu racoleurs) du type « La Cour des Comptes dézingue la gestion de <tartampion> » ou « Les comptes de <truc_corporation> jugés irréalistes par la Cour » soulignent que cette dernière ne joue pas au faire-valoir consensuel.
Mais on a tout de même un goût d’inachevé pour deux travers classiques de notre époque : d’une part, les articles se concentrent souvent sur un point anecdotique, d’autre part ils sont souvent très idéologiquement marqués.
L’anecdote prend le pas sur l’information
Je ne veux pas m’étendre 5 heures sur cette critique déjà ancienne de la course à l’audience et la mise en avant du sensationnalisme putassier au dépend d’une information solide et utile. Mais cette stratégie n’est plus réservée aux tabloïds depuis longtemps, et médias reconnus comme personnalités publiques en abusent de plus en plus et – consciemment ou pas – détournent dangereusement l’attention des points importants.
La couverture médiatique des rapports de la Cour n’y échappe pas. Le dernier rapport sur les comptes de la Sécurité Sociale pèse plus de 760 pages, sans les annexes. Il souligne une complexité dantesque, une déresponsabilisation à chaque niveau, un déficit structurel et récurrent, dont la diminution (souvent vantée par les responsables politiques) est très limitée, et qu’il serait plus juste efficace de limiter ses dépenses (de gestion par exemple) plutôt que systématiquement augmenter les taxes et impôts qui le nourrissent. Le rapport établit, autant se faire que peu, une comparaison avec le système allemand, loue la rigueur budgétaire (excédentaire) de ce dernier tout en soulignant le caractère plus égalitaire, solidaire et sanitairement efficace du système français.
La plupart des articles sur ce rapport ont mis en avant le fait qu’il y avait beaucoup plus d’infirmier libéraux et de kinésithérapeutes par habitants dans le sud de la France.
L’idéologie aveugle
Mais au-delà de la faible couverture de leur travail, les magistrats semblaient surtout ennuyés par son traitement, jugé partial.
On peut comprendre qu’un homme politique s’acharne de façon machiavélique (au sens premier du terme), malgré des années à être systématiquement dans le faux, à vilipender les conclusions de la Cour afin de vendre son action pour de l’art[1].
Par contre, on attend des médias un certain goût pour la réalité, un travail de fond, factuel, qui permette ensuite de porter une ligne éditoriale plus ou moins orientées politiquement.
Je suis depuis plusieurs années les productions de la Cour des Comptes (sans lire toutefois les rapports de 700 pages…), ainsi que de nombreux journaux assez mainstreams, généralistes, que je trouve raisonnablement mesurés sur de nombreux sujets. Il n’est pas rare de voir dans ces derniers des discours ou annonces politiques retransmises dans des articles sans observation ou critique du journaliste.
La Cour n’a pas droit à cette mansuétude. Son travail est systématiquement présenté comme étant froid, sec, austère (mot épouvantail de notre époque s’il en est) et il est très fréquent de voir ses propositions remis en cause : « un tour de vis supplémentaire sur les dépenses ne risquait-il pas d’étouffer encore un peu plus les capacités de reprise ? ». C’est inepte d’une part parce le postulat « moins de dépenses publiques tue la reprise » mériterait démonstration, et d’autre part parce que, comme expliqué plus haut, la Cour anticipe les conséquences de ses propositions, et a donc déjà soit calculée avec ce risque, soit jugé qu’il était infondé.
Plusieurs fonctionnaires de la Cour regrettaient ce manque de pédagogie et de recul. Ne pas avoir de relais est un véritable frein à sa mission, qui est de fournir des analyses factuelles à la société qui se charge ensuite de décider d’une idéologie en âme et conscience.
Ce que j’en ramène
Avant tout énormément de respect pour ces fonctionnaires qui font un énorme travail de l’ombre et sont très loin de bénéficier d’un traitement médiatique à la hauteur de leur rôle essentiel.
Énormément de respect aussi pour l’humilité, la retenue et la pondération qu’ils donnent à leurs discours, notamment quand ils parlent de leurs rapports. On le sait, nous avons en France un lien très passionnel à tout ce qui touche la politique… et dans notre pays la politique touche à tout. J’ai noté plusieurs discussions où je sais que, moi personnellement mis à leur place, j’aurais vraisemblablement perdu mon objectivité en faveur d’un discours plus partisan. Eux au contraire étaient d’un sang froid et d’une tempérance extraordinaire, malgré parfois des remarques du public pas forcément faciles à supporter.
Bravo à eux !
1. Toute ressemblance avec 80% des politiciens de ces 30 dernières années ne serait évidemment que pur et fortuit hasard. Aaah le hasard…